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Les bons lits |
Professeur H. |
Si l’on fait abstraction de ses manifestations
historiques diverses pour en rechercher le principe essentiel, le
protestantisme est une attitude libérale de l’esprit. Est
protestant qui ne sacrifie jamais l’évidence intérieure
aux affirmations du dogme ou de la masse. |
Est protestant qui tient à la liberté de
l’esprit plus qu’au repos, qui préfère le
déchirement à la paix, si la paix signifie abdication de
l’esprit. |
Est protestant surtout qui ose être seul. Seul
contre son temps, seul contre le souverain (expression symbolique de la
masse), seul contre l’Univers, avec seulement dans le cœur cette
évidence qu’il appelle Dieu. |
Les hommes d’aujourd’hui sont
fatigués. Ils ont peur de la solitude. On ne saurait leur en vouloir
: c’est la grande lassitude de la guerre, de la crise, d’un
temps difficile entre tous. L’individu cherche la masse, comme le
malade le lit, comme l’enfant le berceau. |
Les protestants sont fatigués aussi, et malades
aussi et ils recherchent les lits confortables des orthodoxies et des
conformismes. |
Il en est de toutes sortes. |
Il y a le lit des dogmes, profond comme les
siècles, sculpté par d’habiles ciseleurs qui ont fait
des chef-d’œuvre avec leurs ciseaux. |
Il y a le lit des mystiques, soyeux et surmonté
d’un ciel où les anges ont piqué des étoiles. On
y a des visions, parfois d’un pas feutré la Sainte Vierge
s’approche de vous. |
Il y a aussi le lit du ritualisme. On y dort d’un
profond sommeil et les musiques que l’on y entend rappellent à
s’y méprendre les chants grégoriens de
l’Église. Il y a le lit du piétisme où le
murmure des paroles pieuses berce le dormeur qui ronfle. |
Et il y a d’autres lits encore : celui des
théopneustes fait de vieux parchemins, celui des pentecôtistes
où souffle un vent mauvais, chargé de senteurs charnelles. Et
le plus extraordinaire des lits c’est encore celui du réveil,
où l’on vous réveille toutes les heures pour avoir le
plaisir de vous voir vous rendormir aussitôt. Ainsi le protestantisme
est devenu un vaste dortoir plein de lits extra-ordinaires. |
Pour moi, je vous le dit tout net : si
j’étais fatigué ou malade et que j’eusse besoin
d’un lit, je ne le chercherais pas dans le dortoir du protestantisme.
Je me ferais catholique sur-le-champ : les dogmes de l’Église,
ses litanies, ses rites seront toujours plus beaux que ceux des mauvais
protestants. Vous êtes des catholiques au petit pied, et ridicules
par surcroît. |
Le protestant est libre et majeur. Il ne se laisse
point forcer au sommeil. Il ne court pas après la paix. Il
n’abdique pas les droits de l’esprit pour la paix. |
L’heure est au repos à cause des fatigues
de l’heure. Laissez se reposer les timorés, laissez le pendule
aller à droite. |
Il reviendra de l’autre côté.
L’esprit reprendra ses droits. Un jour vous reconnaîtrez que
c’est dans votre cœur et nulle part ailleurs que se trouve Dieu,
et que Jésus-Christ se révèle. Alors vous rirez avec
moi des lits où vous alliez bercer votre paresse, alors vous ne
courrez plus honteusement après le catholicisme. Alors vous serez
à nouveau véritablement protestants. |
Ce jour est encore lointain, je le sais. Mais je
l’attends de confiance. L’esprit de Dieu ne cesse jamais de
souffler. |
(Texte paru dans L’Esprit
et la Vie (janvier 1937), journal des protestants libéraux opposés à la création de l’Église Réformée de France où ils avaient le sentiment que leur voix serait étouffée.) (Elle l’a été NDLR) |
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